•  Le concours est la voie royale pour être recruté dans la Fonction Publique. Cela vous a été répété, rabâché, remâché, dans un premier temps par vos profs de fac qui ne savaient pas qu'une vie différente pouvait exister au-delà des murs de l'Université et, dans un second temps, par votre premier employeur public, celui qui vous aura exhibé un CDD de un an non renouvelable à l'autre bout de la France. Le concours est réputé pour être une garantie d'égalité entre candidats, un principe républicain vénéré qui fait du néo-lauréat, un agent dorénavant ultra-compétent et performant (surtout dans le culture !) alors que, 24 heures plus tôt, le novice devenu conservateur confondait encore le distributeur de Coca de son futur musée avec un Vermeer.

    Voilà la théorie et nous détaillerons l'imbécilité des concours dans une autre contribution. En matière de recrutement, l'exercice fait intervenir deux institutions : une collectivité locale et la préfecture avec son Contrôle de Légalité. Les collectivités n'ont pas le droit de recruter en dehors des clous républicains, ceux plantés par le concours. Pourtant, elles se servent dans un vivier inépuisable où s'entassent chômeurs et autres précaires prêts à se tondre le torse grâce à une pince anglaise pour quelques ronds et surtout pour l'espoir d'intégrer la Fonction Publique. Mais les mandarins font ce qu'ils veulent. Le meilleur moyen, un peu sadique, est de rechercher les offres d'emploi bidonnées, arrangées, cousues pour les favoris des élus et autres notables de la Direction Générale d'une collectivité.
    C'est un fait, quand vous candidatez, quand vous espérez que votre profil va séduire, quand vous vous dîtes justement que l'avenir va se démêler car votre prétention épouse les compétences et le profil exigés, retenez-vous pour ne pas tomber dans l'illusion puis la désillusion ou pire, le dégoût et le découragement.

    Beaucoup d'annonces sont pipées, arrangées en faveur de candidats déjà en place que l'on souhaite promouvoir afin de faire plaisir à un élu ou encore à un ami.

    Le premier indice est l'ampleur de la diffusion de l'offre d'emploi. Lorsqu'une collectivité a une place vacante, elle doit faire une publicité minimum ; la loi l'y contraint. Pour cela, le Centre de Gestion de la Fonction Publique Territoriale, l'antenne départementale, doit en être informée car c'est à lui qu'incombe la tâche de diffuser la proposition. Une fois sur deux, cette antenne locale n'a pas de site web et, lorsqu'elle en a un, l'agent chargé d'actualiser les annonces ne sait pas le faire !
    Le second indice réside dans la lecture de l'annonce, les spécificités demandées. Car, là encore, lorsqu'une collectivité souhaite restreindre le nombre de candidats, elle énonce des compétences très rares que seul l'autochtone pressenti et voulu possède. Par exemple : « Avoir soutenu une maîtrise sur de l'art mandchoue de la basse vallée du Yu entre 1240 et 1321 ET avoir eu une expérience au sein du Musée de l'Homme de février 1998 à mars 2001 (sinon, c'est pas la peine de postuler) ».

    A titre d'exemple, voici les profils requis pour deux postes de conservateurs aux missions très distinctes et devant œuvrer dans un même parc naturel (les fautes « demanière » « établissment » est d'origine):

    Profil souhaité:
    Posséder une expérience dans la conduite scientifique d'un établissement muséal, la réalisation d'expositions, ainsi que dans la gestion de collections. Il présentera des connaissances en sciences humaines et sociales. Le candidat aura participé demanière significative à des actions d'animation de politique territoriale. Il aura le sens du travail en équipe et des relations humaines. Une bonne pratique des outils informatique est exigée. Une expérience dans la direction d'établissment sera appréciée.

    Maintenant, voici un autre profil requis pour un autre poste de conservateur dans la même structure :

    Profil souhaité:
    Posséder une expérience dans la conduite scientifique d'un établissement muséal, la réalisation d'expositions, ainsi que dans la gestion de collections. Il présentera des connaissances en sciences humaines et sociales. Le candidat aura participé demanière significative à des actions d'animation de politique territoriale. Il aura le sens du travail en équipe et des relations humaines. Une bonne pratique des outils informatique est exigée. Une expérience dans la direction d'établissment sera appréciée.

    Bien que les missions pour ces deux postes soient différentes, le profil exigé est le même. Mais le doute reste, car on peut mettre cette homologie des profils sur le dos du service des ressources humaines suspecté de ne pas vouloir se creuser la citrouille pour rédiger des profils distincts.

    Autre exemple, aussi éloquent que minable. Une grande collectivité recherche un archéologue. Pas n'importe lequel. Il suffit de lire le profil exigé :
    - formation universitaire Bac+5, DESS ou MASTER II, en sciences et techniques de la terre appliquées à l'archéologie,
    - expérience indispensable en archéologie urbaine, en particulier préventive,
    - maîtrise des techniques de la topographie et de la photographie zénithale,
    - maîtrise des logiciels de SIG, de SGDB et de DAO ainsi que des outils de transfert des données topographiques,
    - formation spécifique en matière de sécurité et prévention dans les travaux publics,
    - connaissances de la législation de l'archéologie,
    - bonne connaissance des acteurs de l'archéologie nationale et si possible régionale (service de l'état, collectivités territoriales, universités, associations...),

    Ici, le candidat peut être un débutant, donc sans expérience, mais doit forcément en avoir eu une en archéologie urbaine et plus particulièrement en archéologie préventive ; doit être un as pour la manipulation des outils informatiques ; doit être au fait de la législation en archéologie et avoir eu une formation spécifique en sécurité et prévention dans les travaux publics. Je vous fais grâce du reste de l'annonce tout aussi éloquent et délibérément contingentant.

    Un détail pour cette annonce : non seulement le concours n'est pas demandé mais, en plus, le poste est à pourvoir rapidement. Au 1er juillet.... L'année universitaire se terminant, un prof travaillant avec ce service d'Archéologie aurait-il un étudiant à placer selon ses accointances avec le directeur(trice) du service ? Heureux sera le candidat pré-choisi. Mais, tristes voire désespérés seront ceux qui y auront cru et qui auront claqué un max de pognon et consumé des kilos d'espoir pour tenter de convaincre un jury aux ordres et souvent amusé.

    Si vous répondez à une annonce bidon, que risquez-vous ? Rien car vous rendez service à la collectivité pour qui la proposition d'emploi aura été fructueuse et lui aura permis d'organiser un vrai-faux recrutement. En revanche, selon votre lieu de vie, vous perdrez du temps et surtout du blé. Beaucoup de blé car il faut prendre le train, se loger et bouffer. Et peu de collectivités sont suffisamment scrupuleuses pour penser à ces gens qui vont se déplacer avec l'espérance de rafler au minimum un an de répit dans leur chômage.


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  •   Le concours des Services techniques dans une collectivité laisse toujours une impression mitigée et, après avoir vu l'efficacité et la resplendissance des techniciens lors d'une intervention chirurgicale de terrain, on ne sait plus quoi penser.

    Un matin, soudainement, sans prévenir, un moment de panique n'épargna pas l'équipe fortement hétérogène (dans sa composition humaine et ses compétences) du musée après que celle-ci eut collégialement constaté les défauts des outils qu'offre la modernité : l'ampoule du hall d'accueil était décédée. Stupeur générale. Le soulèvement des masses laborieuses pointait face à l'usure et la destruction de l'outil de travail qui donnaient opportunément un argument supplémentaire pour ne pas bosser ou en foutre le moins.

    Cet évènement, avec assurance et sans prendre les paris tant j'étais certain de gagner, allait constituer le fait traumatisant de la journée. J'espérais que les séquelles ne resteraient pas gravées trop longtemps dans les âmes déjà torturées des agents.

    Sans l'espérer, une initiative fut prise spontanément par la Perle de l'équipe. Toutefois, comme tout régime administratif dictatorial, la Perle eut besoin de la validation de son chef de service. Manque de chance, c'était moi. Mais, pour une fois, j'existais, je sentais que des yeux humides délicatement posés sur ma personne trahissaient une attente à mon égard. La Perle soumît sa proposition :
    - « Et si on appelait les services techniques pour changer l'ampoule !?! »

    La phrase à peine terminée, la Perle, convaincue de la pertinence de son idée, se balança sur elle-même comme une enfant attendant un bon-point arrachée dans une plaquette de chocolat au lait. La récompense ne vint pas immédiatement. Je me lançais :

    - « Mais, nous pouvons la changer nous-mêmes cette ampoule ! » osais-je dans un moment d'égarement. Pour le coup, je tenais effrontément parfaitement mon rôle de rabat-joie.
    - « Bin, vous avez pas l'droit ! Y faut l'habilitation Electricité ! » tempêta la Perle.

    Outrée, la Perle avait fait mouche. Elle le savait. Les autres hochèrent la tête en silence et en cœur pour approuver la flèche qui m'avait été décochée.

    Pour changer une ampoule, il faut être habilité. Surtout ne pas chercher à comprendre cette tradition. Est-ce fait pour partager le travail ? Est-ce un héritage de la France de la Libération où chacun dans les usines contribuait à reconstruire le pays en respectant les mêmes gestes répétées à l'infini sans empiéter sur le territoire du voisin ? Surtout ne pas chercher à comprendre que j'vous dis !!!!

    Pendant ce temps-là, l'abat-jour du hall restait orphelin et chaque agent était résigné à porter le deuil de la petite ampoule « qui avait tenu plus que l'ancienne » selon les commentaires émérites des agents les plus expérimentés dans l'observation des mouches au plafond.

    Durant l'après-midi, surpris par la célérité de l'exécution de la demande (soit cinq heures plus tard), une patrouille composée de deux voitures respectivement remplies par un agent « saloppetté », déboulèrent au musée. Pas en trombe. Mollement. Doucement. Mais sûrement. La rapidité de l'intervention avait été assurée par l'auteur de la demande, un agent du musée. Je compris que la communication était beaucoup plus efficace entre agents, surtout lorsqu'ils s'étaient côtoyés auparavant avant que l'un des deux ne se fasse jeter du service pour incompétence ou tout autre motif qui laisse tout aussi froid dans la Fonction Publique Territoriale. Il faut dire que l'exercice de la communication entre agents était aussi quotidien : les pétitions étaient les premiers motifs de discussion (après les dents du petit et tout ce qui se raccrochait aux nouveaux gluants fraîchement dépotés).

    Les deux agents des Services techniques débarquaient au ralenti de leurs Kangoos défoncées tels des soldats américains sautant de leur hélicoptère allant napalmiser un village de Rouges. Une scène commune dans les films américains. Ne manquait que Wagner en fond sonore. Les agents des Services techniques galvanisaient ainsi leur fierté et réchauffaient leur amour-propre grâce à ceux du musée qui se disposèrent spontanément en rang d'honneur pour exalter l'ardeur des deux laborieux, venant changer une ampoule, rappelons-le.

    - « Pourquoi êtes-vous DEUX pour changer UNE ampoule ? » osai-je sans pouvoir me contenir tant la question inondait ma bouche.
    - « C'est le règlement ! ». La réponse tomba sèchement comme la lame d'une guillotine.
    - « Excuse-le, il est nouveau » tempéra immédiatement une des agents du musée à l'encontre de son collègue électricien et qui ainsi vola à mon secours devant la raideur administrativo-syndicale de son confrère des très prestigieux Services techniques.

    Pendant l'exécution des travaux, l'un des agents escalada au péril de sa vie les 10 marches de l'escabeau pendant que son suivant s'entretenait avec ses collègues du musée, commentant silencieusement tous les gestes de son chef. Toutes se pâmaient pour le héros alpiniste d'escabeau au sommet de l'élévation en aluminium haute de 2 m.

    Cette histoire d'habilitation est gravée dans mon bulbe cérébrale pourtant rabougri par ces années de Fonction Publique. Malgré tout, je n'ai jamais réussi à éclaircir l'affaire. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Comme un tabou, même la Direction Générale n'a jamais osé se prononcer sur ce sujet semblant craindre des révélations pouvant mettre en péril un monde parallèle. Je me pose toujours les mêmes questions.
    - Qui protège qui dans cette histoire d'habilitation Electricité ?
    - Et surtout, qu'est-ce que réellement l'habilitation Electricité ? Un code, un Graal qui permet d'entrer dans la confrérie des agents de la Fonction Publique et d'être reconnu et accepté ?



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  •  Les motivations d’une DRH doivent être en symbiose avec celles du Maire. Nécessité habile si le chef de la DRH veut garder sa place, il doit adhérer au management très objectif et magnanime de son Maître qui ne juge les agents que sur leurs compétences et aptitudes…. de colleurs d’affiches (et lécheurs de pompes s’il reste de la salive). Cette obligation est salubre et valable car l’objectif de Maître est d’atteindre le stade ultime du Nirvana de la vie en collectivité en terme d’entente humaine, de plénitude économique, de qualité environnementale, pour tous les électeurs citoyens.


    Ainsi, la DRH a des missions qui empêcheront toutes les velléités extérieures de contrecarrer le dessein de Maître dont l’action sur les consciences est géographiquement limitée aux couloirs de la Mairie. La DRH se plie :

    -     A acheter écouter les syndicats aux dépens des chefs et directeurs de service (« Faut pas déconner, y paraît qui y’en a qui veulent torturer les agents en leur apprenant de mauvaises manières qui consistent à….. travailler » et la DRH ne pourrait tolérer cette pratique).

    -    A protéger écouter les agents, tous de bonne volonté et unis dans la lutte pour atteindre l’Olympe du fonctionnaire conscient de son statut, c’est-à-dire un état d’inaction et de plénitude morale le mettant définitivement à l’écart de tous risques professionnels (avec l’appui des syndicats compatissants bien sûr)

    -   A recadrer les chefs et directeurs de service qui auraient tenté et même envisageraient à un moment ou un autre de recourir à la participation d’un agent alors que ce dernier ne se sent pas d’apporter son concours à l’œuvre publique (« bref, y veut pas bosser ! »).

    Voici donc les missions professionnelles d’une DRH.


    L’une des collectivités que j’ai côtoyées avait pour principe de base d’accorder ses deux oreilles, son sonotone, son micro, son porte-voix à n’importe quel agent, seul ou groupé, et ce quelles que furent les conditions dans lesquelles la cheville ouvrière du Service public bavait ses doléances puis salivait à l’idée d’avoir la peau de l’esclavagiste chef de service irrespectueux des acquis professionnels qui permettent toujours à un agent de se mettre en maladie (avec la complaisance d’un médecin) quand il sent poindre la velléité d’une demande de la part de ce même chef aussi irresponsable que naïf. Les lettres de dénonciation anonymes et les pétitions étaient bien sûr les documents de liaison les plus appréciés par la DRH. Ainsi, pour juger le travail d’un directeur de service, la DRH s’appuyait sur les pétitions qu’elle recevait régulièrement plutôt que sur les rapports rédigés vainement par les cadres à qui elle réclamait pourtant des notes sur les agents coupable d'un écart ou abus. Précision : selon cette collectivité, un abus était atteint lorsqu’un agent s’effondrait ivre mort devant des usagers. S’il se rétamait seul ou devant ses collègues, l’indulgence, la compréhension et l’écoute étaient alors de mise (avec cure de désintox payée par la collectivité en sus).

    L’une de ces plaintes visait une directrice pointée par les agents de son service, eux-mêmes écrasés par la charge de travail qui les contraignait à partir systématiquement plus tôt tant la fatigue les cisaillait, et qui décidèrent de concert de porter plainte, anonymement bien sûr. Le motif de cette plainte : harcèlement moral. Le bon vieux harcèlement moral passe-partout et utilisé par les fausses victimes alors que les vraies restent cloîtrées derrière une muraille d’inconsidération et de mépris.

    Le Maire apprenant cette nouvelle se désolidarisa rapidement de la directrice qu’il avait pourtant reçue pour lui assurer son soutien. Ben ouais, les camarades de campagne appuyaient la démarche des agents anonymes et ça, Maître, toujours très courageux (c’est un z’élu !) l‘avait omis. Toute la direction générale fit de même. Le Z’Elu en charge du service décampa et coupa sa ligne téléphonique… La directrice se retrouva esseulée à devoir témoigner devant un tribunal, un avocat à sa charge. Le juge, amusé, mit rapidement fin à la mascarade après qu’un policier eut compris que l’agent qui avait fomenté tout cela avait des antécédents… négatifs (restons sobre) du côté d’un organe qui se trouve dans le crâne et dont la molesse de la gelée cérébrale entravait la capacité de réflexion et de concentration.

    Depuis cet épisode, cette directrice traumatisée revit l’épisode judiciaire et se voit refourguer toute la crème tombée du camion impossible à recaser ailleurs.

    Chers Français, vos Z’Elus sont un peu comme ça : un mélange de couardise avec un zest d’inconscience et de désinvolture à l’égard des chefs et directeurs de service. En revanche, derrière chaque agent se cache un électeur qui parlera du bon Maître à toute sa famille. L’équation est simple :

    Electeurs + [(syndicats x Agents) - (Directeurs + chefs de service)]
    = élection acquise

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  •  Dans un musée, il est quelques moments forts, dramatiques, haletants. Presque intéressants. Difficilement concevable, celui de la visite de la commission de sécurité est l’un de ceux-là.

    Très irrégulièrement dans le temps, un pompier, un policier, un z’élu, un mec de la Préfecture aussi ampoulé qu’encravaté, un représentant des Services techniques affublés de ses suivants débarquent avec des cahiers sur lesquels il faudra cocher des cases. L’addition des croix et des ronds permettra d’attribuer ou non un avis favorable dont le Maire ne tiendra de toutes façons pas compte.

    Ce jour-là, pas de chance pour nous : fait presque aussi rare que la visite de la Commission de Sécurité, nous avions des visiteurs. Un groupe exclusivement composé de grabataires, parkinsoniens et autres shakers appareillés sur pattes rabougries. De quoi songer sérieusement à installer une antenne médicale de campagne dans la cour du musée.

    Après les salutations de faux usage entre les membres de la commission, plus personne ne se souvenait des basses qualités des uns et des autres car, comme chez le proctologue, on n’y fait pas attention et on attend que ça  passe. La visite de la Commission débuta aussi poliment que silencieusement. Sauf pour un. Alerte comme une fouine cocaïnomane, le chef des pompiers enclencha son regard fureteur de James Bond trahissant qu’il piaffait d’entrer en action. Il prit possession des lieux tel un chien renifleur à la recherche de victimes après un séisme. Sauf que le musée était encore debout si l’on exceptait les croulants qui, au bout d’une demi-heure, entamaient déjà la troisième marche de l’escalier.

    De suite, le pompier releva malignement, à l’image du personnage campé par Daniel Prévost dans le Dîner de Cons, les imperfections et irrégularités en y puisant un flot de satisfactions personnelles jubilatoires. Sa jouissance était amplifiée par les mouvements de tête approbatifs et mécaniques du gars de la Préfecture que la nature avait oublié en lui donnant le regard du personnage de Jacques Villeret (même film), le talent comique en moins. A mon tour je me faisais un plaisir de lui faire remarquer que ses observations relevaient d’aménagements réalisés trois ans auparavant juste après sa dernière visite et lui montrais son dernier rapport. Peu lui importait, le plaisir du pompier intransigeant ne devait pas être polluer par un emmerdeur contradictoire qui défaisait ce qui avait déjà été préconisé et qui avait requis la dilapidation de l’argent public.

    Mais la visite de la commission connait toujours un sommet. Un pic d’émotions. Cette troupe de galonnés se retrouvait vite en manque de pimpon. Il leur fallait leur dose d’alarme pour qu’ils se sentent mieux. Le pompier, toujours lui mais avec le soutien du policier, demanda à entendre la sonnerie d’alarme au feu. Quatre-vingt décibels giclant entre les murs d’une bâtisse séculaire et accessoirement dans les feuilles de mes vieillards handicapés, ça fait très mal, mais il fallait vite un pimpon, une sirène, une alarme, une dose d’adrénaline. Bien qu’il existait un signal lumineux notifiant le déclenchement silencieux de l’alarme, la cohorte de la commission insista pour entendre le pimpon à la manière d’enfants exigeant fiévreusement la dernière création anti-artistique de la daube adolescente star-académicienne.

    J’essayais de maintenir ma position pour épargner une alarme agressive à mon groupe d’handicapés essoufflés. En vain, je demandais donc à deux agents de prévenir les responsables valides du groupe du branle-bas sonore martial qui allait être déchaîné volontairement.

    Tout excité, le pompier arracha une feuille de papier et dégaina un briquet. L’alarme, vérifiée deux jours avant par l’installateur lors d’un contrôle routinier, se déclencha sèchement. Satisfait, le pompier cocha vite la case pour se languir dans une pose voluptueuse à l’écoute de ce qui était pour lui une symphonie mélodieuse. Un brouhaha éléphantesque et des cris de panique perturbèrent son extase. Le groupe dévalait l’escalier. Un des membres chuta, un autre eut un vrai malaise de panique et dut être porté dans les bras d’un accompagnateur. Pas assez pour entamer définitivement la béatitude religieuse du pompier pour qui ce bordel prouvait que l’alarme fonctionnait bien et tenait son rôle. Tout de même un peu vexé après que je lui eu dit, « avec retenue » (comme dit notre Président aux Chinois), mes méditations spontanées à l’égard de ses méthodes, le pompier se ravisa en réenclenchant son œil fouineur pour déterrer une irrégularité omise qui lui permettrait de se venger de ces handicapés briseurs de magnificence musicale et perturbateurs de sa petite jouissance.

    Quelques semaines plus tard, le rapport préconisait la fermeture du musée. Comme prévu, le Maire s’en foutait. Pour le coup, un z’élu, quel qu’il soit, a parfois de bonnes décisions. Mêmes si elles sont involontaires.


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  •  Les jeux de mots sont aussi faciles qu’avérés : du Cabinet n’en sortent que des bruits de chiotte. L’entrée en matière (...) est rude et pourtant rien ne peut résumer mieux que cet aphorisme l’ampleur de l’inactivité intellectuelle et la qualité piteuse des idées qui jaillissent de l’écurie politique du Maire.

    Pour entrer au Cabinet et intégrer la jeune garde du Maire, il faut surtout se persuader d'un destin, ou du moins se l’imaginer. Mais, avant tout, avoir un diplôme généralement en Sciences Po. Sinon, un diplôme de l’ENA fera l’affaire encore que ceux-là débaroulent directement dans une sous-préfecture rurale pour soutenir un sous-préfet vermoulu. Celui sortant de Sciences Po, que ce soit de la Sorbonne, de l’Université du Creusot III ou de Montluçon II, ira s’aguerrir dans une mairie de quelques dizaines de milliers d’âmes perdues ou vendues. Sa mission principale consistera à « valider » les affiches préparées par le Service Communication, l’organe de presse chargé de préparer le bulletin communal dans lequel le Maire aura sa tronche sur chaque page ou presque. Ensuite que fait-il d’autre ? Rien ! La seconde partie de sa mission consiste à ne rien faire ou plutôt à tenter de dissimuler son inertie perpétuelle par des agitations durant lesquelles il fera passer un coup de fil ou demandera un rapport sur le fonctionnement d’un service afin de maintenir une pression professionnelle déjà inexistante et pour laquelle personne n’est vraiment dupe. Bin ouais, on est dans la Fonction Publique Territoriale et faut pas se la jouer cadre sup' dynamique !

    Surtout, la distraction principale des membres du Cabinet est de contrecarrer volontairement le DGS, voire de l’humilier, toujours en public afin de lui faire sentir que ce sont les seuls décisionnaires car ils ont l'oreille du Maître. Aussi, en réunion lorsque cette fine et jeune fleur politique est présente, le DGS adopte une attitude différente, rentre sa tête entre les épaules, avale la salive qu'il n'a plus et attend poliment pour prendre la parole que l'un des deux glandus la lui accorde. Heckel et Jeckel adorent avilir et faire se prosterner  le DGS jusqu’à l’amener au bord de l’humiliation devant un pourtour d’agents étonnés tous aussi pétrifiés. Le chef suprême de l’administration locale sait qu’il est observé, jaugé, étudié et jugé et que tous ses mots et gestes seront rapportés au Maire par les deux corbeaux. Concluons en affirmant que les mignons sont là pour tenir en laisse le DGS à la demande du Maire dont la lâcheté des actes est proportionnelle à son absence.

    Le Cabinet est généralement composé de deux personnes : le Chef de Cabinet et l’Assistant, parfois d’un chargé de mission tout aussi inutile sauf à dilapider le fric de la Collectivité. Les deux premiers sont nécessairement encartés ou affichent de très promptes sympathies, souvent d’usage et de circonstance, pour le Maire qui les amènent à faire coller des affiches par les agents tout autant encartés des services techniques. La véritable mission de cette élite est d’apprêter la réélection du Maire en prenant soin de faire semblant de ne pas interférer dans les affaires courantes. Ils y parviennent rarement. Avant tout parce qu’ils ne comprennent pas le fonctionnement des services, s'en tapent totalement, et utilisent leur temps de cerveau disponible à vomir sur tout ce qui les dépasse. Ensuite parce que ces deux joyaux d’inutilité relaient avec la même délicatesse qu’un Chinois manifestant de la tendresse à un tibétain en grève de la faim, toutes les demandes des laquais du Maire. Pour ce faire, ils passent eux-mêmes des appels et négocient perpétuellement avec les directeurs et chefs de service des passe-droits illégaux et pourtant demandés, voire exigés, par d'anciens élus ou amis du Parti. Ainsi, un coup de fil peut être passé en provenance du Cabinet. En général, si le message est relevé par un agent, l’effroi l'assaille et il vous accroche la voix sèche et vacillante comme si la Faucheuse frappait à la porte du musée :

    -         « C’est le Cabinet ! »

    -         ou encore « Le Cabinet a appelé, il faut que vous rappeliez tout de suite ! »

    Quel est l’avenir de ces latrines mystérieuses et inutiles entretenues par un argent public dépensé sans condition ? L’Assistant continuera son apprentissage politique en servant de porte-serviette à une candidate pour la Présidence élyséenne. Quant au Chef de Cabinet, il poursuivra sa carrière en récurant les mouches qui ponctuent les chiottes de son Pépère si celui-ci attrape un mandat supplémentaire, à la faveur des électeurs complaisants je le consens.

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  •  Dans la Fonction Publique Territoriale, une équipe est toujours composée des présents et des absents (la proportion étant respectivement de 2/3 pour 1/3). La mienne ne pouvait pas faire  exception. La seule différence résidait dans la qualité des absents. L’un de ceux-là illuminait le musée par la pénurie d’idées que son départ avait laissé au sein de l’équipe devenue orpheline.

    Ce Messie était incarné par Aline une agent trapue tatouée CGDT au look masculin assumé (55 ans selon une datation, cheveux blonds platine courts, lunettes rondes, bouche pincée, frange capillaire d’un joueur de foot des années 80 et boucles d’oreilles artisanales mi indiennes mi déglinguées). Les autres agents attendaient, espéraient le retour de maladie de l’incarnation locale de la lutte anti-patronale. Aussi, Aline m’avait été annoncé comme une menace, une héroïne vengeresse qui allait remettre de l’ordre dans ce service qui était opportunément resté sans responsable (donc coupable !) pendant six mois et qui dénoncerait tout haut les velléités scandaleuses du jeune Trouduc de conservateur de faire fonctionner un musée à la dérive. Cette période fastueuse avait été paradisiaque pour l’équipe : plus de chef de service, plus besoin d’ouvrir le musée même si des visiteurs stationnaient devant la porte  (j’en ai fait l’expérience avant de me présenter à l’entretien qui allait décider de mon avenir dans ce musée), permission syndicale et même obligation d’utiliser le téléphone strictement pour l’usage personnel,…etc.

    Toutefois, Aline était encore en souffrance. Son visage trahissait un état d’esprit asthénique, brisé par plus de 30 années de lutte, deux cures de dés-alcoolisation, six dépressions, un zeste de schizophrénie, une  dépendance affective à l’égard de sa mère, de l’anxiété à travailler et bien sûr deux tentatives de suicide la faisant entrer dans le club super select des suicidaires assumées du musée (3 sur une équipe de 7, heureusement pour un taux de mortalité de 0). A son arrivée, les présentations furent expédiées puisque Aline n’écoutât pas mon mot de bienvenue et de présentation. En passant à côté de moi (à une distance de 10 cm sans daigner me regarder), Aline alla directement en salle de pause, c’est-à-dire discuter dans le bureau de la Perle, qui se trouvait dans un état de bénédiction similaire à celui de Bernadette (Chirac ou Soubirous, c’est pareil !), afin de récupérer de l’effort qui l’avait contrainte à se lever pour venir travailler. Aline dévoilait donc peu d’ambitions professionnelles et assumait son choix en venant régulièrement, en qualité de porte-bonne-parole, représenter l’équipe dans le but unique de me demander de justifier la torture que j’imposais. Pour revendiquer, Aline avait deux phrases déversées avec le même air accablé et qu’elle avait apprises par cœur à l’école syndicale :

    1)      - « Mais, pourquoi est-ce que vous faite cela ? »

    2)      – « Pourquoi êtes-vous comme cela ? »

    Les réponses étaient évidentes et irrémédiablement identiques 

    1)      – « Bin, parce qu’on a un service à faire tourner ! »

    2)      – « Bin, pour qu’on bosse tous à cause du service qui doit tourner !».

    Excusez le défaut d’originalité de mes réponses mais je ne savais vraiment pas quoi dire sur le moment !

    Aline me signifia savamment plusieurs fois, alors qu’elle surveillait le bon fonctionnement des gonds de la porte d’entrée sur sa propre initiative, qu’il n’était pas question que la situation empira davantage. Cela ne pouvait plus durer. Rapidement, elle se mettrait en contact avec la chef du syndicat, sa copine de lutte, pour mener une action. Mais avant, Aline préféra, comme notre président, prendre de la hauteur et partir s’imprégner de sa fonction syndicale en optant pour un congés maladie accordé par son médecin. Aline repartît donc pendant un mois pour se soigner. Mais avant, elle annonça qu’elle prendrait deux semaines de vacances supplémentaires à la suite de sa guérison.

    Au moins, j’avais compris une chose : que je ne pouvais surtout pas confier à Aline l’organisation des plannings de l’équipe.

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  •  Dans l’équipe d’un musée, il y a deux catégories de personnes. D’une part, il y a les gens adoubés par la République parce que lauréats d’un concours (ou embauchés car encartés ou bien en cheville avec l’Elu). Ceux-là sont nobles et s’octroient le droit, encouragés par l’idéologie CFGT, de mépriser tout ce qui ne leur ressemble pas. D’autre part, il y a les contractuels. La première catégorie méprise donc la seconde.

    Dans mon équipe, que je n’ai pas encore présentée dans sa totalité, existait un être extraordinaire dont on m’avait dit en débarquant dans la Fonction Publique Territoriale :

    -         « Tu verras, ça existe »

    Cette personne était UNE contractuelle. Oui, dans la FPT, on ne dit pas que Madame est contractuelle mais bien c’est une contractuelle afin que l’on distingue bien cet être des autres.

    Avant mon arrivée et sans avoir pris connaissance du Code du Travail et du Respect de l’Autre, la Mairie avait déjà établi une dizaine de CDD à cette dame qui n’avait pas d’autre choix que d’accepter puisque l’attendaient des trucs qu’on appelle dans la vie ordinaire : précarité, pauvreté et chômage. Dans le but de nourrir sa famille, la contractuelle acceptait sans rechigner les missions que souffrait de lui confier la DRH -Direction pour la Réanimation et la Hantise des agent- pour des durées qui variaient entre une demi-journée et quelques mois.

    Les missions de la contractuelle étaient mal définies, même pas définies du tout par pure convenance. Sa seule mission : bosser à la place des titulaires absents pour des raisons diverses (bras qui marche plus, picole surhumaine, pas envie d’bosser..etc). La DRH, en harmonie avec les agents titulaires et s’en s’être concertés, avaient mis en place une flexibilité dont continue à rêver le MEDEF. La contractuelle débarquait sous l’insistance des agents surchargées par le boulot que personne n’osait leur confier dans le souci qu’il ne fut pas bien réalisé. Ses tâches étaient très diverses : un jour à la bibliothèque, un autre à l’accueil, un troisième au secrétariat, un quatrième à travailler sur les animations avec les gamins. En à peine une semaine, la contractuelle avait fait le tour d’un service qu’elle avait compris et avait même fait preuve d’esprit d’initiative. Cette entreprise personnelle fut aussi sa fin comme le relate le dialogue surpris entre deux agents :

    -         « Pas titulaire, elle fait des choses ême pas inscrites dans les missions ».

        -         « Ouais, c’est vrai, et si ça continue on s’ra obligés de faire comme elle !»

    Fort heureusement, la DRH, avec le soutien des agents qui s’y étaient manifestées sans m’en informer, a stoppé la contractuelle dans son élan de zèle en lui demandant de regagner dare-dare sa chaumière dès sa mission terminée.

    Quelques semaines plus tard, lors d’une réunion bidon (réunion de service) avec la DGA -Directrice Groggy Anesthésiée- celle-ci épanchât son soulagement à cause de la contractuelle qui avait commencé à faire se poser quelques questions parmi les agents.

    -         « Mais qu’a-t-elle fait pour s’attirer les foudres de ses collègues à ce point ? »

          -        « Elle a bossé…. ».

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  •  Un vernissage est une rencontre entre l’artiste et un public généralement autorisé. Cette autorisation relève uniquement du statut social et non des goûts ou de l’aptitude artistique à porter un avis de qualité. Les critères de cette mairie de gauche sont très souples : inviter la garde du maire (= son chenil : le chef-cab, le dir-cab et sa femme qu’il emploie comme secrétaire), le préfet, le larbin du préfet, quelques profs encartés, des commerçants (du coiffeur à l’esthéticienne), des professions libérales (du pédicure au proctologue) et quelques artistes reconnus par la qualité des coups de langue qu’ils fournissent en rafale lorsque l’élu ou le maire passe les troupes en revue.

    Voilà en quelques mots l’usage d’un vernissage. Officiellement. Plus réellement, un vernissage permet à l’élu de venir se montrer pour prononcer trois mots, toujours les mêmes : magnifique, travail exceptionnel et avant-gardiste, pour se pâmer devant des croûtes qu’il salissait en douce avec son pote le proctologue juste avant. D’ailleurs, au moment du discours, il n’est pas envisageable qu’un membre du musée, y compris son responsable, se trouve près de l’élu qui exige très solennellement que je rejoigne le bataillon des courtisans. Il est préférable de se tenir à distance du groupe si on ne veut pas percevoir les claquements secs des fesses dodues de l’esthéticienne ou encore subir l’odeur de la poche urinaire du Préfet qui vient de se percer. Et de toutes façons, il faut rester à l’écart pour que l’élu comprenne que je ne fais pas partie de sa cour. 

    Pour l’élu, c’est l’occasion d’exposer sa délégation à la culture et de s’enfiler une coupe de champagne en discutant avec le dentiste, le docteur, l’avocat ou le sous-préfet. Seules, par leur accoutrement panaché, quelques rombières se confondent avec les œuvres exposées et trainent chacune leurs chipolatas frisées sur pattes tout juste sorties du toilettage. Il va de soi que jamais ces personnages ne viendront au musée y voir l’expo permanente non pas que ça ne les intéresse pas, mais parce qu’il faut payer ! Et ces gens ne voient pas pourquoi, eux, devraient payer puisqu’on les invite à chaque vernissage et qu’on leur fait croire qu’ils comptent. Et puis, ont-ils besoin de rentrer dans un musée. A les écouter, je crois qu’ils se posent vraiment la question. Pourtant, je leur aurais bien filé quelques abonnements même gratos pour leur salubrité mentale.

    Et d’un coup, sans qu’on ne s’y attende, l’élu peut surprendre. Il lui arrive de porter une attention, ou plutôt une curiosité, à l’expo et de devoir évoquer cet intérêt avec le responsable du musée.

    -         « Pour la prochaine expo, ce sera Léonardo ! »

    -         « Quoi !Ah bon ! Pourtant on a un planning que vous avez validé en commission Culture et c’est un autre qui est déjà programmé. Et puis l’année est remplie »

    -         « C’est pas grave, tu enlèves le mec prévu et tu mets Léonardo à sa place. C’est un pote! »

    -         « Alors il faut que vous appeliez Machin pour lui dire qu’il est retiré du programme »

    -         « Non, pas le temps ! C’est ton boulot ».

    Donc, un élu est à la fois un mélange de courage, d’égard, de constance et surtout de parole… avec ses amis. Léonardo et le proctologue le savent bien.


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  •  Parmi mon équipe de winneuses, l’une des agents présentait les caractéristiques inédites d’avoir éprouvé des compétences en secrétariat. C’était La Perle (voir un post précédent). Non pas que j’espérais qu’elle ait pu me donner quelques conseils sur le rangement de mon bureau, de ce côté-là c’était totalement illusoire bien qu’un bon coup de pied au cul eut été le seul argument pour me forcer à ordonner mon capharnaüm. En revanche, j’avais eu l’idée insensée, puisqu’elle faisait partie du service, de travailler avec La Perle et de m’appuyer sur son expérience dans le but d’installer une forme d’entente qui nous aurait amener à collaborer harmonieusement. Après tout, après avoir côtoyé tous les services de la ville et s’être fait foutre à la porte de chacun d’entre eux, j’imaginais que ses renvois étaient dus exclusivement à des jalousies professionnelles de la part de ceux avec qui elle avait bossé et qui ne supportaient pas cet agrégat abject et irrespectueux d’aptitudes professionnelles dans une seule personne. Mon objectif était donc de réhabiliter les capacités inexploitées de La Perle.

    Mais, ce retour à la vie normale devait être doux selon une préconisation administrativo-médicale de la Directrice Groggy Anesthésiée. Donc, n’ayant surtout pas voulu donner à La Perle l’impression désagréable de subordination hiérarchique, au début je rédigeais les courriers moi-même puis les lui transmettais. Internet était bien branché sur son PC mais elle montrait des réticences à l’utiliser et disait être en souffrance d’un manque évident de formation. Evoquer l’usage du web en sa présence provoquait en elle des TOC et des mimiques faciales aussi angoissants qu’un Gilles de la Tourette en crise dans une rame de métro bondée ! Préférant laisser tomber, La Perle me donna une disquette, la seule qu’elle utilisait depuis trois ans (et la seule qu’elle avait), pour que je lui livra les fichiers de mes courriers tapés avec un traitement de texte ordinaire. A cette commande, il fallait ajouter une impression papier de chaque courrier pour la rassurer et apaiser sa psychologie fragilisée.

    Une belle semaine d’été, cinq courriers à re-mettre aux normes de la mairie (2,5 cm de marge à gauche, 3,2 à droite et autant en haut et en bas avec une police de caractère de 12 en Times) lui furent renvoyés par la secrétaire de la Directrice Groggy Anesthésiée. Et oui, aucun de mes courriers ne lui convenait. Outrée, La Perle les arrachait du parapheur et se ruait vers moi dans l’idée de tancer ce « djeun blanc-bec qui fait n’importe quoi parce que pas comme y faut » :

    -         « Mais, vous ne vous rendez pas compte !?! J’ai pris la règle et j’ai mesuré que les marges sont pas aux normeeeuuuhh ! Le parapheur est revenu et y faut tout refaireeeuuh voilà ».

    -         « Alors, passez-moi votre disquette, j’enregistre les fichiers, je fais des impressions de chaque courrier et, si vous l’acceptez, vous mettez tout ça aux normes ? »

    -         « Bon ben si vous voulez…. ».

    L’acceptation était molle. Elle ne s’attendait pas que je fasse appel à ses compétences et repartait à la fois résignée et persuadée de s'être faite piéger en venant déverser son exaspération dans mon bureau devant tant d’anarchisme administratif.

    Plusieurs jours plus tard, je m’impatientais et commençais à m’interroger sur l’efficacité du maire à parapher quelques courriers. Telle Super Nanny, La Perle mêla étonnement et affliction dans son regard devant tant d’impatience.

    -         « Mais, j’ai pas fini enfin ! Les courriers sont pas partis »

    -         « Ah bon, pourtant ça fait cinq jours que je pensais qu'ils se trouvaient en mairie pour la signature…. »

    -         « Regardez par vous-même, les courriers sont là sur MON burôôôôô. On est pas des machines ici hein eh oh ! »

    La Perle retapait chaque feuille de brouillon imprimée et utilisait sa règle scolaire pour mesurer les marges au lieu d’enfourner la disquette dans son mange-disque numérique et d’en extraire les fichiers que je lui avais enregistrés. Comme elle a dit ce jour-là :

    - « Bin oui, comme on m’a appris à la formation je fais du copier-coller! »


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  • C’est quoi un Elu à la culture ?
    Alors, d'une façon générale, un Elu est au départ une personne ordinaire de la vie civile qui, dès le mandat attribué par le maire, se transforme en Monsieur « Je-connais-tout-parce-que-je-sais-mieux-que-n-importe-qui-grâce-à-mon-mandat ! ». Pour faire court, l'Elu est Monsieur Vérité Divine... bien que sa connerie puisse être souillée d'une dimension tout autant céleste dont Il perd conscience. Notez que ce doit être pour cela qu'il existe, au sein de la Fonction Publique Territoriale, des formations pour comprendre la psychologie de l'Elu !

    Quel que soit le projet, Il sait ce qui est nécessaire. De ce fait, Son opinion est parole co(s)mique qu'il est inutile de contredire avec des arguments factuels. Ce portrait est valable pour une grande majorité d'élus.

    Le mien d'Elu, je ne le voyais pas ou presque et faisait partie d'une sous-catégorie : les élus  qui sont absents (comprenez, ceux qui s'en foutent). Complètement désintéressé par ce petit service culturel qui ne payait pas de mine et n'emmerdait personne à l'exception des agents remisés qui y squattaient, mon Elu me rencontrait accidentellement lors des vernissages (objets d'un prochain post) durant lesquels il était en service commandé pour remplacer un autre absent : le maire. Lors de ces rencontres devant la haute société communale, une heure avant l'inauguration l'Elu réclamait une note sur l'objet de l'expo, l'auteur, l'artiste, le titre, bref tout ce qu'il fallait savoir et ce pour quoi il ne s'était jamais passionné et qui malgré tout le ferait se pâmer publiquement de passion soudaine pour le travail d'une personne dont il se fout.

    En revanche, l'Elu savait défendre ardemment, et même violemment son dada à lui sur lequel il était intarissable : le théâtre qui avait toutes sa faveurs. Les dossiers, l'argent, les millions d'euros étaient protégés par les bienfaits et interventions en haut-lieu de l'Elu. Le directeur du théâtre lui-même appelait l'Elu par son prénom, et ornementait son statut social de cette complicité à peine voilée pour ne pas éveiller les soupçons auprès de ses collègues de la culture pas si ingénus ("
    dans "ingénu", y'a "génie", comme dans ingénieur aussi, et "in", c'est quand y'en a pas", Angela in Loft Story 2).

    Ainsi, le soir de l'inauguration du théâtre, la première pièce programmée par le directeur et son pote l'Elu a permis de découvrir un spectacle qui débutait par une danse de filles nues talquées. Il fallait bien être tombé dans la poudre et l'avoir sniffée pour programmer  cette danse de topinambours cocaïnomanes. Peu après, apparaissait un samouraï de type limougeaud gambadant comme un cabri à la poursuite des nymphes qui se réfugièrent sur des cordes de pompiers. Tout cela dura près de deux heures et en espagnol sans sous-tirages. Finalement, et nous étions beaucoup à n'attendre que ça, la représentation se terminât. Le maire et l'Elu montèrent sur scène pour remercier la troupe et le metteur en scène qui offrait ce « théâtre novateur » (= théâtre auquel on ne bite rien !). A la fin de la représentation, j'eus honte pour l'Elu. La pièce terminée, et puisque personne ne saisissait rien, le public hésita à applaudir, en fait il ne savait pas s'il fallait le faire et retenait très poliment son enthousiasme. Ainsi, dix à quinze seconde se sont écoulées entre la fin de la représentation et le début des acclamations polies. Je fus sincèrement gêné pour les acteurs.

    Pour ma part, ce soir-là je compris deux choses. Sous de violentes décharges d'hormones et en voyant les filles nues, l'Elu vibrait d'une tension mal contenue à l'image d'un teckel en rut. Rien de moins banal : en fait j'apprenais que Lui-même faisait partie de la troupe et saisissais mieux les millions d'euros pour Sa cohorte de junkies.

    Je compris aussi que,
    même accablé par le spectacle, il ne fallait surtout pas se lever avant tout le monde pour filer à l'anglaise car il y a toujours un photographe de la presse locale embusqué dans la pénombre.... C'est pour cette raison que le lendemain, je me retrouvais en première page du journal le plus lu avec ma trogne ébahie par le flash accompagnée du sous-titre suivant : « Ouverture du théâtre : une standing ovation et un public conquis » !!

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