Dans une collectivité, quelle qu'elle soit, les commissions rassemblant techniciens et z'élus sont destinées à générer une réflexion qui aboutira à des propositions qui, éventuellement, si elles ont retenu l'attention d'autres z'élus lors d'un bureau politique ou d'un Conseil municipal en toute fin d'ordre du jour, aboutiront à des actions. Donc, on peut dire que les réunions de la Commission Culture, puisqu'il s'agit de celle-ci, sont complètement illusoires et inutiles à l'instar de la moitié des réunions dans la Fonction Publique Territoriale (je n'évoque pas les deux autres fonctions publiques que je ne connais pas, bien que des indices et mon instinct m'incitent à penser que....). La raison de cette inutilité réside dans la psychologie des z'élus du Conseil, ici municipal, qui considèreront d'un mauvais œil le constat et les propositions des membres de cette commission accusés d'élitisme : ils ne lui font pas confiance et pensent toujours être mieux à même de savoir précisément ce que réclame et ce dont a besoin le bon peuple.
Parmi les nombreuses réunions de cette commission auxquelles j'ai pris part, je me souviens de l'une d'elle symptomatique des échanges prolixes et nombrilistes entre cadres culturels : directeur du théâtre municipal, directeur de l'école de musique et directeurs des musées, tout ce gotha encadré par l'adjoint à la culture. J'ai oublié de citer le directeur des archives municipales dont personne ne voulait dans sa commission. Inclassable, il était donc là par défaut, toléré car considéré comme ne faisant pas partie intrinsèquement du monde culturel ; il devait se garder d'intervenir au risque d'être éludé. Ses demandes se limitaient à quelques cartons innocents et étagères de rangement supplémentaires. Ses prétentions budgétaires étaient donc circonscrites et ne constituaient pas un danger pour les budgets des autres cadres présents. D'où la tolérance physique à son égard.
L'adjoint à la culture (acteur dans la même troupe de comédiens que son ami directeur du théâtre) : « Faisons un pré-bilan de l'offre culturelle de la collectivité et de la participation des électeurs citoyens ».
Le directeur du théâtre pensant que cette demande lui était naturellement et de droit destinée, s'accaparre la parole et ignore les autres : « La saison est terminée. Et quel succès populaire ! Le partage, la conscience de l'autre, l'empathie ont été les valeurs humaines de notre programmation. De ce fait, cette année, nous avons eu une troupe magnifique de comédiens bosniaques en résidence[1]. Leur création, intitulée très sobrement « La mort », rappelait le drame de ce territoire et la volonté de ce peuple à renaître. Création artistique minimaliste jouée en espéranto, les comédiens étaient nus pour exhiber l'indigence des Bosniaques pendant cette période de drame et d'incompréhension entre ce peuple et le reste du monde ».
L'adjoint à la culture : « Création très forte bien que je n'y tîns qu'un petit rôle.... ».
Ma pomme : « Personnellement, je n'ai rien compris ».
Le directeur du théâtre s'exclamant : « Parfait, mais c'est justement ça l'incompréhension entre les Bosniaques et nous !! »
Puis il reprend : « Ensuite, nous avons eu un collectif rwandais relatant le génocide. Peuple très pauvre, les comédiens manifestaient leur désapprobation face aux multinationales, soutenues par des états riches, et venues pour nettoyer le sous-sol africain de ses richesses. Pour cela, les comédiens étaient nus afin de protester contre l'appauvrissement de l'Afrique ».
L'adjoint à la culture : « Puissant, prenant, asphyxiant ».
Le directeur du théâtre : « Enfin, le troisième et ultime spectacle de la saison, plus optimiste, mettait en scène la tragédie arménienne. Fort heureusement, l'histoire se termine bien si je puis dire puisque l'Assemblée nationale française a reconnu le génocide...... (rires bouffis et complices du directeur du théâtre et de l'adjoint). Bien sûr, c'était nécessaire, la nudité des comédiens était inévitable pour établir la pauvreté de ce peuple au début du XXème siècle.
Grâce à cette programmation, la fréquentation du théâtre est en hausse. En moyenne, nous avons eu une centaine de spectateurs, soit un taux de remplissage à peine inférieur à 30 %. Pour la saison suivante, je vais être contraint de demander une augmentation du budget si l'on veut conserver une programmation aussi dynamique et ambitieuse d'un point de vue culturel. Vous admettrez tous que j'ai besoin de me déplacer pour rencontrer ces compagnies et assister à leurs spectacles avant de prendre le risque de les programmer........ ».
Devant cette demande aussi évidente que malhonnête, cette fois-ci d'un point de vue moral et intellectuel, aucun d'entre nous n'est intervenu, surtout pas l'adjoint à la culture. Par principe, ce dernier était d'accord avec son ami. Quant aux autres, nous savions tous qu'il était dérisoire d'argumenter contre ; le Conseil municipal perdrait quelques membres à la suite d'attaques cérébrales et étouffements dus à l'ingurgitation de dentiers à la simple écoute de cette demande de théâtreux assoiffés de culture élito-exhibo-porno-bobo.
Voici donc ce qu'est une Commission Culture. On se congratule, on se masturbe de ses succès alors que le directeur des archives municipales devra encore attendre le budget suivant pour obtenir ses cartons. Et, lorsque personne n'a rien à dire, on se désespère de la sincérité et de la motivation de la demande culturelle, de la soif, du besoin d'art « des gens ». Tout cela se termine dans un accablement collectif du directeur du théâtre et de l'adjoint qui concluent sur l'urgence vitale de programmer une prochaine pièce sur la crise identitaire des Mongols vivant dans les bidonvilles d'Oulan-Bator et versant dans l'alcoolisme. Condition sociale et économique miséreuses, perte de repères culturels, les comédiens seront donc à poils pour figurer l'égarement d'un peuple qui a tout perdu, même ses frusques !
[1] La résidence n'est pas une villégiature, mais peut raisonnablement être considérée comme un squatte honorable voulu par les z'élus de la commune. En contrepartie, la troupe de théâtre invitée devra produire un spectacle nouveau joué gratuitement pour le public local. Le jour venu, docteurs, avocats, z'élus, constitueront la majeure partie du peuple présent. Entrées sur invitation exclusivement. Quelques tolérances seront néanmoins accordées aux crotteux et galleux, vrais amateurs de théâtre, qui se seront manifestés timidement et seront venus en vieille Mégane pourave juste après les commissions hebdomadaires chez Carrechour. Désolé pour ce relent bileux de lutte des classes, mais ceux-là seront en haut, derrière un poteau malgré leur amour du théâtre et viendront sans le calcul fielleux de ménager leurs relations en recourant au baise-main et lêche-b... sur la personne du Maire.
PS. Pov' directeur des Archives !