•  Chaque élu veut son joyau, cet héritage qu’il laissera et qui permettra à ses petits-enfants de se pâmer au crépuscule devant la salle des fêtes affublée du patronyme de leur aïeul. Ainsi, selon son envergure nationale ou communale, l’élu aura soit un musée en bord de Seine ou bien un lavoir baigné par la Coqueluchonne.

    Quelle joie de se retrouver parmi un parterre d’élus pour un entretien d’embauche dont l’enjeu est juste l’avenir d’un projet culturel d’une valeur d’à peine 10 millions d’euros et pour lequel tous s’imaginent qu’il va attirer à coup sûr 100.000 touristes en dépit, à la fois de l’inexistence d’hôtels alentours, de la première grande ville située à 50 km et de l'absence de goudron sur la voie d’accès. Car c’est comme cela que les élus réfléchissent ; leur pensée se fonde sur l’investissement pour imaginer le succès proportionnel et certain de leur futur musée et non du travail préliminaire à exécuter. 

    Ainsi, quelle jubilation de les voir de concert s’aérer les gosiers tels des poissons abêtis d’avoir été pêchés lorsque le candidat demande, par exemple, s’ils ont déjà songé et commencé à communiquer sur leur bébé musée mal né. 

    Extraits de l’entretien d’embauche dont je fus témoin amusé.

    Le Président du Conseil général : « La commercialisation, ce sera le boulot du directeur ! »
    Le candidat : « Et vous voulez ouvrir dans six mois alors qu’il n’y a que les cloisons, même pas de toit…… ???? »
    Le Président du Conseil général : « Absolument et il faut équilibrer le budget dès la première année, impérativement»
    Le Président de la Communauté de Communes (vermoulu dans ses 80 ans) : « Vous habiterez où ? »
    Le candidat : « Est-ce que cela a une influence sur l’efficacité professionnelle du futur directeur ? »
    La chef du patrimoine du Conseil général (à l'ouest, cultureuse, loin du vrai monde et pour qui évoquer l’argent, c’est sale, caca-boudin, pas beau !) : « Que comptez-vous faire pour les scolaires ? »
    Le candidat : « Mettre en place des animations en concertation avec le Rectorat mais aussi surtout innover dans le contenu et la forme de la médiation culturelle».
    Il y a des mots qu’il faut absolument replacer dans un entretien comme concertation, coordination, pilotage…etc. 
    Le candidat s’adressant à la chef du patrimoine : « Mais, si vous me permettez, M. le Président évoquait à l’instant l’équilibre budgétaire mais comment faire lorsque 20% de la fréquentation du site seront assurés par des scolaires dispensés de paiement d’entrée et pour lesquels il y aura forcément des dépenses d'animation notamment ? »
    Le Président du Conseil général (étonné par la pertinence et l'évidence de la question, bloqué dans sa réponse) : « ……………………. ? »
    La chef du patrimoine (qui n’a pas compris la question) : « ………………………….. ? »
    Le Président de la Communauté de Communes (qui n’a pas compris la réponse) : « Vous habiterez où ? »
    Le Président du conseil général : « Vous êtes pris, que faites-vous quand vous arrivez le premier matin ? »
    Le candidat (ne sachant que répondre face à ce désert intellectuel qui gît dans la question) : « Eh bien… je consulte le projet scientifique et culturel que vos services ont dû rédiger et qui sert de plate-forme au projet….. normalement ! ».
    Le Président du conseil général : « Que pensez-vous des partenariats ? »
    Le candidat (de plus en plus déconfit face à la portée des questions) : « Pour se développer, un musée doit compter sur ses voisins. Or, votre région compte de nombreux sites à renommée nationale avec lesquels des liens thématiques et touristiques pourraient être tissés ». Plus banale comme réponse, y’avait pas ! Mais la question était indigne. 

    Tout l’entretien, qui a duré une demi-heure montre-en-main, fut de cet acabit, révélant que les élus ne connaissaient pas leur sujet, n’avaient aucune idée de leur projet de développement, ni d’ailleurs n’avaient déjà posé un orteil dans un musée. La seule chose dont ils étaient conscients était la somme de dix millions d’euros engagée et de l'équilibre budgétaire oppressant.

    Inutile d’étayer une conclusion évidente. L’opération devait assurer le prestige des élus locaux et leur promettre une photo dans le canard départemental, prise par une correspondante locale lors de l’inauguration. 

    Tout ça pour une seule photo à dix millions d’euros. Comme pour les jumelles de Brad Pitt et Angélina Joli sauf que là au moins, il y avait deux photos pour la même somme ! 


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